Je me suis replongé dans ma lecture des Possédés de Dostoïevski, je vais presque en avoir fini de le premier tome. Moi qui ai eu le plus grand mal à rentrer dans ce livre, je viens depuis quelques chapitres de mordre à l'intrigue, et lorsque pour des pauses je sors de ce livre, j'en suis bien absorbée encore pendant l'heure qui suit, c'est très curieux car alors je vois le monde comme cette pauvre boiteuse, incapable de discerner le réel de la fiction, l'instant du souvenir. Je suis ailleurs, à la frontière de l'imaginaire, et du présent, absorbée dans un univers virtuel jusque dans le physique. Tout devient théâtre, sujet à observation et expériences, je vois le monde comme par les yeux de mon guide russe. Que j'aime les bons, les vrais bons livres ! Je me souviens n'avoir jamais autant aimé marcher dans les champs qu'après juste avoir lu du Rimbaud. Je n'avais jamais remarqué la beauté des chevelures avant d'avoir découvert Baudelaire. Ma perception du monde a changé à chacune de mes lectures en fin de compte, comme à chacune des bonnes rencontres que j'ai pu faire, cependant parfois, bouffée par tous ces regards, je ne sais plus discerner le mien du sens commun ou du sens d'un autre. Parfois alors, je me demande si nous ne sommes pas finalement que des murs dressés pierre par pierre, venues des quatre coins du monde. Un mur pour l'escalader, et atteindre Dieu. Et si chaque pierre est une idée, nous aurons beau essayer de les ajuster de la façon la plus originale, il en reste, que nous n'aurons produit aucune pierre propre à nous afin d'agrandir ce mur. Nous serons alors des êtres construits, solides, mais toujours sans individualité. Il ne m'arrive que très rarement d'entendre ma propre voix, ma propre pensée, car souvent, par un phénomène inter-référentiel ou textuel, la moindre idée m'en évoque d'autres venues de vieilles connaissances, et ainsi une réflexion ne peut plus se faire que par l'apport intellectuel des autres. D'ailleurs, on ne s'en rend même pas compte, mais au final, par flemme de réfléchir, on suit plus souvent un raisonnement de penser qui nous semble plus juste par l'entendement que par l'expérience. On en finit par perdre son individualisme, sa propre voie, ses propres yeux, car l'entendement au final dans ce cas, n'est que ce qui a été jugé bien ou mal selon les autres. Et la flemme ça peut mener loin, car ne pas chercher à creuser sa propre destinée, c'est s'ôter le goût de vivre libre avec des valeurs dont on sera sûrs puisque elles seront de nous-même et comme nous même.
J'essaye de lire mon bouquin mais il y a la voix de cette grande blonde, qui me retire de la lecture, parce que cette fois elle ne sait pas ce que c'est qu'un café frappé. Depuis tout à l'heure elle ne sait pas quoi choisir, fait des manières. Elle sent un parfum de marque, et pourtant porte un vieux jean troué avec des ballerines communes noires. Ils plaisantent, elle finit par prendre un jus d'orange.
Il est 08h22, je le vois sur la grande pendule rouge Marilyn Monroe, au mur de ce bar, perdu dans Paris, où je bois un café. La pièce est en longueur, étroite, ses murs sont de couleur taupe, orné d'un liserai blanc crème avec des pin-up dessus, style Dita Von Teese, y a des miroirs partout, une immensité d'étagères de l'autre côté du bar, où trônent les bouteilles, les tasses, les verres, les verres cristal, les bols blancs. Le tenancier est un gros barbu, avec de toutes petites lunettes rondes. Il essuie depuis cinq minutes la même tasse, les yeux rivés sur l'écran de télévision où se déroule un match de ruggby. Au comptoir, il y a déjà deux verres de vins rouges, un déjà vidé, et plusieurs tasses de café, avec la cuillère, le sucre mais sans chocolat. Trois hommes accoudés, portent un même regard fasciné vers le même écran, et lancent parfois des exclamations. « Non ! », « Il est con celui-là ». Je redresse parfois la tête suite au bruit d'un claquement de main, ou d'un coup sur la table , tout ça me fait franchement sourire. Mon sourire fait idiot car eux ne plaisantent vraiment pas. Un vieil homme entre, il est du genre veste de costume gris velours, et n½ud papillon ancienne mode. Lui aussi porte des lunettes, mais des grosses carrées en écailles, genre intellectuel des années 1950, mais en revanche, il est rasé de très près, sa peau est rose. Il vient avec un petit chien, mignon, propret, qui avance au même rythme que ses pas. Lui, ici, il vient acheter un paquet de tabac gauloises, et lire son journal en prenant un café. Il lit le Monde, je l'observe un peu, parfois il hoche la tête d'un air entendu, j'aperçois qu'il en est à la page ECONOMIE. Son chien s'est assis, droit, et me regarde. Mais enfin, soudain réalisant que je le juge, je me demande....ce vieil homme est il si méprisable pour de quelques mots j'en fasse un cliché ? Si j'étais vrai écrivain, je pourrais soupçonner ce qui se passe dans sa tête, en ferais un individu différent des autres. Cependant, je ne sais pas ce qui peut bien se passer dans la tête d'un vieil homme, plein de souvenirs, et d'opinions. Alors, au lieu de jouer mes psychologues ratées, je préfère vous décrire ce que je vois, et à vous à me dire ce que vous en pensez. Qui est ce vieil homme ?
La grande blonde s'en va dans un rire et une trainée de parfum. Je remarque qu'elle traverse la rue sans prendre un passage piéton, puis elle disparait de mon champ de vision. Pendant ce temps, une dame d'un certain âge vient de prendre place à l'autre table.
Elle me sembla être une habituée, elle ne commanda rien car d'un sourire entendu, on lui servi un thé. C'était une de ces femmes à qui vont bien les chapeaux, et elle devait en être entendue, car elle portait une toque de fourrure grise, par-dessus une épaisse chevelure rousse. Durant le quart d'heure où elle est restée, l'attitude de cette dame ma frappa par sa constante immobilité, ses longs regards lointains, cachés sous de longs cils maquillés et la grâce avec laquelle elle prenait entre ses doigts, délicatement, la tasse de thé. Elle ne devait pas avoir quarante ans, mais ses yeux creusés, fourbus, avaient la lourdeur de ceux des mourants. D'autres auraient simplement dit qu'elle paraissait fatiguée. Il me parut pourtant étrange d'être la seule à la regarder, tant elle était belle, picturale, pittoresque au sein de cet endroit vulgaire. Je trouvais que la vision de cette femme-là me rendait compatissante, instruite d'un mystère misérable, et discret, mais j'étais alors d'une empathie avec un autre monde, celui de l'imagination, celui qui rend toutes les réalités belles et insondables. Ce livre m'avait donc fichu des prismes sur les rétines, et je ne pouvais pas m'empêcher de trouver pathétique ou puissant, toutes les réalités qui se proposaient à moi. J'étais donc sous la domination d'un autre. Dans quel monde d'illusions pouvons-nous vivre alors nous qui sommes si influençables, quel univers de faussetés, d'à côtés, nous parcourrons, et pour lequel nous aimons et souffrons! Est-ce la difficulté de réfléchir par soi même ou le refus de voir le monde tel qu'il est vraiment de peur de ne pas pouvoir l'affronter ? Est-ce donc de la paresse ou de la lâcheté ? Peut-être tout ça. Mais aimant énormément les promenades en montagne, l'expérience me dit aussi qu'en empruntant des chemins déjà usés, nous pouvons beaucoup en apprendre sur les hommes qui y ont laissé leurs traces de pas, les animaux qui les traversent, en être apprenant, mieux percevoir la globalité du monde et qu'une fois guidés jusqu'à un certain endroit, nous pourrons vaquer où bon nous semble, sécurisés, rendus indépendants. Dès lors, n'ayons plus peur de suivre les prophètes qui nous semblent précher la bonne parole, pour essayer de se forger sa propre Foi, ou pour en revenir à l'image de la construction du Mur, trouver en ces idoles, des artisans prêts à nous transmettre un savoir.
A travers la porte vitrée, je vois que dehors la lumière s'épaissit, et devient plus éclatante, elle rayonne sur les saletés du verre, une heure en effet vient de passer.

AzzarofromParis, Posté le lundi 01 octobre 2012 09:49
Moi aussi la lecture de certains bouquins m'a imprégné et possédé, j'ai été vraiment sous influence parfois. Je me souviens avoir voulu être le Des Esseintes de A rebours, Adam Pollo du Procès verbal ou le Winston de 1984. Je crois d'ailleurs que ces personnages ne m'ont jamais quitté en fait. Enfin tout ça me rassure de savoir que quelqu'un peut ressentir les mêmes choses. Je note Les Possédés. Depuis le temps qu'on me parle de cet auteur..